Brique de thé

Brique de thé

thé sous forme de briques

thé sous forme de brique

Le thé a tout d’abord une vocation médicinale.
Les mentions à son propos se multiplient à partir du IVe siècle, il fait bientôt l’objet d’un commerce régulier.
On se contente tout d’abord d’abattre des théiers sauvages et de les dépouiller de leurs feuilles, puis, pour faire face à une demande grandissante, on crée des plantations dans le SICHUAN vers l’an 350, en acclimatant des théiers sauvages du YUNNAN
Les feuilles de thé sont alors façonnées en forme de gâteaux (ou briques), et rôties jusqu’à devenir rougeâtres.
Pour l’utiliser, on amollit un coin de la brique à la chaleur, puis on pulvérise les morceaux entre deux feuilles de papier. Lorsque l’eau commence à frémir, on y ajoute le sel. Au premier bouillon, on y verse le thé et enfin une louche d’eau froide, puis on laisse réduire jusqu’à obtention d’un liquide épais et brunâtre. (On utilise le terme de "soupe" pour désigner ce breuvage car les ingrédients au goût prononcé, oignon, gingembre, pelure d’orange, menthe, ail…, sont ajoutés dans l’eau. On se sert de bols pour servir, à l’origine en bois).

Sous la dynastie Tang, (618-907), le thé sort peu à peu de son contexte médical pour devenir un réel plaisir. La période qui suivait la mousson était consacrée à fabriquer des briques de thé. Les cueilleuses se rendent au petit jour sur les pentes montagneuses, la cueillette stoppe à midi afin de traiter la récolte le jour même. On écrasait d’abord les feuilles pour en extraire les constituants actifs, puis elles étaient torréfiées, réduites en poudre puis comprimées en une pâte que l’on pressait dans des moules en métal. Après avoir durci, on les ficelait, les enveloppait et on les portait dans des paniers suspendus à chaque extrémité d’une perche à tous les sujets du grand empire TANG.
Au VIe siècle, les plantations s’étendent au Sud-ouest et au centre de la Chine pour faire face à des besoins toujours croissants.

En 780, le gouvernement Chinois tente d’imposer la première taxe sur la précieuse denrée, cette mesure soulève un tel tollé qu’elle ne sera suivie d’effets que quinze ans plus tard! La même année, LU YU publie son "classique du thé" (CHAKING), ouvrage en trois volumes qui traite de l’A à Z du thé (de sa culture jusqu’à la manière de le consommer).
Dans ce livre, commandé par un groupe de marchands soucieux de publicité, LU YU distingue trois façons dont se présente le thé: en feuilles, pulvérisé, ou sous forme de brique que l’on pile avant de le faire bouillir avec de l’eau. A l’époque TANG, cette décoction demeure la façon la plus répandue de boire du thé. Grâce à LU YU, l’ambassadeur de la brique de thé, le thé fait son entrée dans la poésie et est considérée comme l’une des distractions élégantes du temps.
Des poèmes témoignent de l’atmosphère raffinée qui entourait la dégustation de thés chez les lettrés de l’époque. En voici un, extrait d’une anthologie composée en 827:

'Il n’est pas déplaisant / De composer des vers / Alors que l’on entend / Le broiement d’un bon thé / L’intérêt s’éveille / Et l’on désire alors / Entendre l’élégant / Pincement d’un luth."

LU YU, en fils de la Chine méridionale, manifestait le plus profond dédain à l’égard de tout ce qui s’écartait peu ou prou de son "gâteau de thé". Il prend d’ailleurs soin de nous en prévenir:

"Quelquefois on ajoute des ingrédients comme des oignons, ou du gingembre. De tels breuvages ne valent pas plus que des rinçures de gouttières ou de caniveaux"

Cette manière de préparer le thé était, hélas, largement passée dans les mœurs.

Les briques de thé pressé commencent à servir de monnaie, loin de se dévaluer d’une province à l’autre, elles ne font qu’augmenter de valeur à mesure que l’on s’éloigne des régions de production. La brique de thé devient un article d’exportation:

  • Vers la Mongolie (par la route qui reliait la Chine du nord à la Mongolie).
    Les mongols font une grande consommation de ces briques de thé que la Chine destine aussi au Tibet et à la Russie. Elles sont fabriquées avec des résidus de l’élaboration des thés noirs et des thés verts de qualité; feuilles abimées, trop vieilles, tiges, brindilles, on chauffe ces déchets à la vapeur avant de les compresser sous forme de briques plates pesant de un à deux kilos, enjolivées de motifs traditionnels imprimés en relief. Pour préparer le thé, il suffit de racler quelques copeaux (+/- trois cuillères à soupe), de les piler et de les mêler à de l’eau bouillante (+/- un litre). Ajoutez une cuillère de graisse animale fondue (yack, bœuf, mouton ou chameau). Salez selon le gout.
    Pour le préparer en brouet : Les Mongols y ajoutent du lait de vache, de brebis ou de chamelle (1/4 de litre), 50 à 100 gr de farine préalablement rissolée dans de la graisse et enfin un demi verre de céréales (riz ou froment). Faire cuire le tout dix à quinze minutes. Les Mongols salent très peu et parfois pas du tout s’ils ne mettent pas de céréales.
    Plusieurs voyageurs du siècle dernier ont raconté leur expérience du thé Mongol, ainsi, le Comte Henry Russel-Killough écrivait dans "Seize mille lieues à travers l’Asie et l’Océanie" en 1864:

Les Mongols étaient plus civilisés que ceux que nous devions trouver plus tard, et plus propres, c’est-à-dire qu’ils ne mouraient pas sans s’être lavés. Quant à leur boisson, c’était toujours cet affreux composé appelé thé de briques, dont ils se servent en guise de monnaie, une brique valant vingt-quatre sous. A l’état solide, ce thé ressemble à un morceau de tabac, à l’état liquide, on ne saurait mieux le comparer qu’à l’eau du Mississippi mélangée d’huile, de gras de mouton et de sel. On prétend qu’il se compose de feuilles gâtées de la plante à thé, bien agglutinées ensemble avec du sang de jeunes taureaux".

  • Vers le Tibet (par la route qui reliait la Chine du sud-ouest au Tibet).
    Selon la tradition tibétaine, le thé aurait été importé pour la première fois sous le règne de Songtsen Gampo, soit au VIIe siècle de notre ère. Les caravanes de yacks mettaient trois mois et demi pour acheminer- le long d’une route de 1500 km, culminant parfois à plus de 5000m d’altitude - les précieuses briques de thé.
    Sa préparation nous est contée par Alexandra David-Neel qui nous précise :

Nous préparions le thé à la mode tibétaine, c’est-à-dire qu’après l’avoir fait bouillir, il est ensuite transvasé dans une baratte en bois (gugurtchaï) longue d’un mètre, on y ajoute du sel et du beurre de yack, pour mélanger le tout, les Tibétains font monter et descendre une tige en bois terminée par un disque s’encastrant parfaitement dans le cylindre de la baratte. Les aliments, longtemps remués, se mélangent jusqu’à l’émulsion complète. Les Tibétains obtiennent alors une boisson très énergétique dans laquelle ils font en plus tremper de la farine d’orge grillée (Tsampa) dont ils font des boulettes". 

Sous la dynastie SONG, (960-1279), le thé a servi de trésor et de monnaie pour l’empire et a fait l’objet d’un véritable monopole d’état ; sous forme de brique il a servi de devise et l’empereur faisait payer ses contribuables sous cette forme.
L’habitude d’ajouter du sel à la décoction de thé disparaîtra en Chine mais sera conservée jusqu’à nos jours par les Tibétains et les Mongols. Les briques de thé qui sont tout d’abord troquées aux mongols contre les précieux chevaux des steppes sont, à la fin du XIe siècle, offertes en tribut aux empires nomades des frontières afin que ceux-ci cessent leurs incursions dans l’empire. En 1044, les SONG versent 30,000 livres de thé aux XIAS pour limiter leurs incursions.

La dynastie SONG sonnera le glas de l’usage de la brique de thé en Chine, le thé sera consommé sous forme de poudre verte que l’on fait mousser à l’aide d’un fouet, "l’école du thé battu" des SONG remplacera celle du "thé bouilli" des TANG

 

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